Le programme « Territoires numériques éducatifs » (TNE), lancé en 2020 par le ministère de l’Éducation nationale et le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et mis en œuvre par la Banque des Territoires avec les collectivités partenaires, en association avec le Réseau Canopé et le GIP Trousse à Projets, devait permettre de tester, à grande échelle, la mise en œuvre de la continuité pédagogique, dont la nécessité avait été révélée par la crise sanitaire liée à la COVID-19.
Le dispositif des TNE, qui concerne à la fois l’enseignement public et l’enseignement privé sous contrat, repose sur huit mesures coordonnées : En pilotant le déploiement simultané d’un plan de formation au numérique et par le numérique, l’apport de ressources pédagogiques ainsi que l’équipement numérique des élèves et des professeurs, les partenaires de l’expérimentation escomptent : Le rapport d'évaluation du dispositif TNE tire les premiers enseignements des expérimentations menées dans les départements de l’Aisne et du Val-d’Oise durant l’année scolaire 2020-2021.
- assurer un socle minimal d’équipement numérique pour les écoles élémentaires ;
- équiper chaque classe (premier et second degrés) d’un kit d’enseignement hybride ;
- permettre l’équipement des élèves des classes élémentaires en état de fracture numérique sous forme de prêt ;
- former tous les professeurs à l’hybridation de l’enseignement ;
- mettre à disposition des professeurs un bouquet de services et de ressources en ligne via une plateforme ;
- équiper les nouveaux professeurs du premier et du second degrés (1 000 nouveaux professeurs, puis les autres) ;
- former les parents volontaires aux enjeux du numérique éducatif ;
- évaluer le dispositif, en en mesurant la pertinence et l’efficience.
- transformer les pratiques d’enseignement des professeurs afin d’obtenir un effet sur les stratégies d’apprentissage des élèves ;
- garantir la continuité pédagogique en cas de rupture des enseignements en présentiel et contribuer ainsi à la résilience du système éducatif en cas de crise ;
- évaluer la pertinence et la faisabilité d’une extension de l’expérimentation à d’autres territoires, voire sa généralisation à l’échelle du pays tout entier.
Quatre leviers
Dans le prolongement des États Généraux du Numérique pour l’éducation (EGN), ce démonstrateur avait pour objectif d’évaluer la faisabilité du déploiement du programme et sa capacité à atteindre ses objectifs.
Le programme TNE faisait suite à l’expérience vécue par les acteur.trice.s de l’École lors la crise sanitaire. Cette période avait révélé « des retards ou des lacunes entraînant, notamment le recours à des solutions d’urgence parfois problématiques en termes de souveraineté et de respect des données personnelles ».
Le programme TNE repose ainsi sur quatre leviers. Les trois premiers sont l’équipement, de la formation des enseignant.e.s et de la mise à disposition de ressources numériques pour les apprentissages. Bien connus, ils ont structuré plusieurs plans et programmes antérieurs. Le quatrième levier actionné par le projet TNE était plus novateur, aussi bien dans le fond que sur la forme. « La mise en place d’un accompagnement des parents afin qu’ils puissent eux-mêmes accompagner leurs enfants dans l’usage scolaire des techniques numériques propose une relecture de la problématique de la co-éducation, c’est-à-dire du rôle et de la place des parents à l’École ».
Forte adhésion de la communauté éducative et désillusion quant à sa mise en œuvre
Le rapport d'évaluation, réalisé par chercheur.euse.s des équipes Techné (Université de Poitiers) et Bonheurs (Cergy Paris Université), présente les résultats suivants : « Les sentiments exprimés par la communauté éducative au cours de cette phase initiale de déploiement du démonstrateur sont ambivalents », résument les auteur.rice.s du rapport d’évaluation. « Ils témoignent à la fois d’une forte adhésion aux principes fondateurs du programme et d’une désillusion quant à sa mise en œuvre. Distorsion souvent renforcée par des expériences antérieures où la réalité concrète concordait peu avec les promesses dont les programmes étaient porteurs ».
- un succès en termes de réduction du retard au regard des équipements malgré une mise en œuvre difficile ;
- une faiblesse notable du point de vue des ressources numériques d’enseignement et d’apprentissage disponibles et de leur usage ;
- une formation inégale entre les territoires, incomplète, mal adaptée aux contraintes et réalités des terrains avec un modèle de dissémination à revoir.
Des compétences numériques inégales parmi les enseignant.e.s
Une majorité des enseignant.e.s s’estime compétente techniquement (69%) et plus encore pédagogiquement (73%) pour l’utilisation des techniques numériques à l’école, et la corrélation statistique est inversement proportionnelle à l’ancienneté.
« Cela ne doit pas masquer les 30% d’enseignants qui se déclarent incompétents, ni toutes les lacunes déclarées malgré tout par ceux qui s’auto-estiment compétents, car le croisement entre ces deux réponses montre un taux de recouvrement inférieur à 70%, soit moins de 70% des enseignantes et des enseignants s’estiment compétent techniquement ET pédagogiquement ».
Ils sont très nombreux à ne pas être satisfaits de leur formation professionnelle initiale et/ou continue au numérique pour l’éducation (83%). Ils estiment qu’ils n’en ont pratiquement jamais eue (64%), que les formations suivies sont trop brèves (30%), trop éloignées de leurs besoins de terrain (27%) ou ne correspondent pas aux équipements dont ils disposent (24%).
« Pour la plupart des enseignantes et des enseignants, leurs compétences se sont donc construites par l’expérience, selon des démarches d’autodidaxie et, parfois, de co-formation entre pairs ».
Toutefois, ajoutent les auteurs du rapport, « la question du développement professionnel des enseignantes et des enseignants dans le cadre du programme TNE ne peut se poser simplement sous l’angle du transfert de savoirs - même s’il est important d’y procéder - mais interroge la construction d’organisations apprenantes où les savoirs et les pratiques sont co-construites ».
Au-delà des compétences qui leur font défaut, « beaucoup des enseignantes et des enseignants rencontrés expriment une certaine désorientation, faute d’un cadrage général qui guideraient leurs choix pédagogiques quant aux usages des équipements et ressources disponibles. Les équipements et les ressources numériques leur parviennent (dans le cadre du démonstrateur TNE) sans s’inscrire dans un projet pédagogique individuel ou d’établissement ».
De fortes attentes quant aux équipements et à la connectivité
« Malgré les précédents efforts d’équipement des écoles par l’État et les collectivités, le niveau d’équipement antérieur à TNE s’avère le plus souvent insuffisant, tant pour faire face aux besoins d’une continuité pédagogique d’urgence que pour engager la transition numérique de l’éducation dont l’école a besoin ». « L’équipement des élèves à la maison est pourtant un enjeu majeur, en particulier en cas de fermeture des classes et/ou des écoles. C’est une des propositions majeures du dispositif TNE, sans doute l’une des plus difficiles à réussir car l’identification des familles à équiper est complexe et pose des questions éthiques et juridiques ».
- Plus de 40% des enseignant.e.s signalent ainsi un manque d’équipement et plus de 30% soulignent que le matériel déjà installé est souvent obsolète. Il est donc indispensable d’équiper massivement les écoles.
- Le manque d’équipement et de connectivité est partiellement compensé par une situation de BYOD où les enseignant.e.s apportent du matériel à l’école. À noter que 8.62% des enseignant.e.s vont jusqu’à utiliser un moyen de vidéo-projection personnel à l’école.
- En revanche, les enseignant.e.s sollicitent peu l’utilisation des équipements personnels des élèves. Contrairement à l’enseignement secondaire et supérieur, il s’agit ici d’une pratique marginale. 91% d’entre eux ne le font jamais et seulement 2% déclarent le faire souvent ou toujours.
- Par ailleurs, l’équipement d’une partie des familles est insuffisant pour organiser le travail scolaire à la maison et la mise à disposition des équipements TNE pour un usage scolaire à la maison soulève de nombreuses questions et difficultés (éligibilité, propriété des matériels et assurance, modalités de prêt…)
- Des témoignages d’élèves soulignent la précarité de leur accès aux équipements numériques familiaux et font état d’usages souvent distractifs.
« L’équipement des enseignants à domicile est également signalé depuis des années comme une difficulté majeure de la transition numérique des pratiques pédagogique ». Plus des deux tiers des enseignant.e.s des deux départements déclarent ne pas être suffisamment bien équipés à titre personnel pour travailler à la maison (65%). Parmi eux, 29% ont pu bénéficier d’équipements mis à leur disposition par l’école. Reste donc environ la moitié des enseignant.e.s mal équipé.e.s à la maison.
En revanche, ils sont plus des deux tiers à déclarer être bien installés à la maison pour travailler (70%).
Repenser la politique de ressources en fonction des usages
L’évaluation confirme et souligne la singularité des besoins de l’école primaire en termes de ressources pédagogiques numériques. « Les ressources déjà disponibles au travers de dispositifs nationaux (…) ne sont utilisées que par 10% des enseignants seulement. Outre que ces ressources, malgré leur qualité, sont insuffisamment connues des enseignants, elles ne répondent pas complètement aux exigences de l’école primaire ».
Le déploiement d’Environnements numériques de travail (ENT), axe important de la politique de l’État, notamment au sein des différents versions du plan de continuité pédagogique, est très inégal dans les deux départements du démonstrateur.
Lorsqu’il existe un ENT, il n’est pas nécessairement utilisé par tous les enseignant.e.s de l’école et de nombreuses familles peinent à s’y connecter (matériel inadapté, connectivité insuffisante, perte des identifiants et mots de passe, déficit de compétences).
Accompagner les parents et leur construire une place à l’École
Ce volet du dispositif TNE était le plus original et probablement le plus complexe à déployer. L’évaluation formule, en conclusion, six recommandations : Selon la Banque des Territoires, son financement total atteignait, fin 2021, environ 200 millions d'euros : 27,3 millions pour les deux premières expérimentations lancées en 2020 dans l'Aisne et le Val-d'Oise et 172 millions au pour les dix nouveaux départements (Bouches-du-Rhône, Cher, Corse du Sud, Doubs, Finistère, Guadeloupe, Hérault, Isère, Vosges et Vienne), choisis, selon le ministère de l'Éducation nationale, « pour que l’expérimentation soit la plus représentative de la diversité des réalités économique, géographique, sociologique et technologique de nos territoires en matière d’accessibilité au numérique».
- « Le travail de maillage territorial pour identifier les acteurs de terrain susceptibles d’agir auprès des parents est considérable. Il est engagé mais demandera du temps pour se déployer totalement avec efficacité »
- « Les attentes de tous sont très fortes sur ce volet du projet ».
- Une partie des enseignant.e.s s’inquiètent d’un éventuel surcroît de travail s’il leur revenait une mission nouvelle de pilotage ou de coordination d’action en faveur des parents. « Cette observation souligne, s’il en était besoin, que la place des parents à l’École reste un impensé institutionnel et que l’on peut attendre beaucoup du programme TNE pour y remédier ».
- « Donner du temps aux acteurs de terrain, développer une culture de projet ;
- Parier sur l’innovation ascendante ;
- Repenser le développement professionnel des enseignants en articulant l’apport d’expertise et de méthode avec le soutien aux communautés apprenantes ;
- Réexaminer la thématique de la continuité pédagogique ;
- Contribuer au développement d’une culture partagée de la donnée ;
- Donner sa place à l’évaluation scientifique et la construire en amont. »
Références :