De quoi s'agit-il ?
L’administration proactive inverse la logique administrative habituelle : plutôt qu’attendre l’usager au guichet, l’administration peut, à partir des informations dont elle dispose, anticiper ses besoins, ses droits et ses obligations. Ainsi, l’administration peut lui rappeler les échéances à venir, lui notifier des droits dont il pourrait se prévaloir et lui indiquer les moyens pour les faire valoir, voire un jour lui accorder ses droits sans attendre sa demande.
La notion d’administration proactive se situe au croisement de trois thématiques récurrentes des politique publiques :
- Simplification : l’administration proactive s’inscrit dans le prolongement du programme « Dites le nous une fois » qui évite aux citoyen.ne.s, lors de leurs démarches en ligne, de communiquer des informations ou pièces justificatives déjà détenues par les administrations, en s’appuyant sur le partage automatique de données.
- Non-recours aux droits. Alors qu’il incombe, habituellement, aux personnes de déposer une demande, qui doit ensuite être instruite, ici, c’est l’administration qui informe la personne de son éligibilité potentielle à des aides et prestations, sans attendre une démarche de sa part.
- Aller vers : la notification spontanée par l’administration de l’éligibilité à certains droits ou l’accès automatisé à certaines prestations relèvent aussi, comme l’observe le Défenseur des droits « de ce qu’on appelle l’aller-vers : mot-clé désormais incontournable dans les politiques menées au nom de l’accès aux droits et aux services publics, conçu notamment comme une réponse aux ratés de la dématérialisation ».
Les travaux autour de « l'administration proactive » comportent plusieurs volets : techniques, avec les échanges de données entre administrations et développements dédiés, juridiques, notamment pour traiter le consentement et opérationnels avec grande diversité de dispositifs :
- Détection proactive des erreurs ;
- Dispensation de déclaration, des lors que l’administration dispose de toutes les informations ;
- Détection par recoupement de données des personnes éligibles à certains droits et pré-remplissage des formulaires : revenu de solidarité active, prime d'activité, aide personnalisée au logement ;
- Versement automatique d’aides ou de prestations sans démarche préalable : chèque énergie, allocation de rentrée scolaire, bourses scolaires.
Parmi ses 12 propositions pour garantir le « dernier kilomètre » des politiques publiques, le Conseil d'État recommandait récemment de généraliser le recours au « dites le nous une fois ».
Références :
Un socle juridique et technique pour l’administration proactive
La démarche « Dites-le-nous une fois » a posé les bases techniques et juridiques de l’administration proactive. En supprimant la collecte et l’analyse des pièces justificatives auprès des usagers, en complétant les dossiers avec des informations récupérées « à la source » auprès de l’administration de référence et donc plus fiables, il s’agissait d’éviter aux citoyen.ne.s et aux entreprises de fournir lors de leurs démarches en ligne, des informations ou pièces justificatives déjà détenues par d’autres administrations, en s’appuyant sur le partage automatique de données entre administrations via des API (interfaces de programmation).
Mis en œuvre en 2014 pour les entreprises, le principe « Dites-le-nous une fois » a été étendu aux personnes en 2018 avec la « loi pour un État au service d’une société de confiance ». Un décret en janvier 2019 définissait le cadre technique et organisationnel relatif aux échanges d'informations et de données entre administrations. La direction du numérique (DINUM) mettait alors en place un guichet « dites-le-nous une fois » avec des outils service de la circulation et l’exploitation des données : un point d’accès unique aux API de l’administration (Api.gouv.fr) et des hubs pour les données des particuliers (Particulier.api.gouv.fr), des entreprises (Entreprise.api.gouv.fr ) et pour les données géographiques (Geo.api.gouv.fr).
La logique du « Dites-le-nous une fois » est entrée dans une nouvelle phase avec la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration (dite loi 3DS) et deux décrets publiés le 11 mai 2023. L’article 162 de cette loi facilite encore davantage l’échange d’informations entre administration. Auparavant, chaque API devait être mentionnée dans un décret, soumis a la CNIL. Désormais, l’ouverture est la règle. Le premier décret organise les échanges de données entre administrations en vue « quand celles-ci sont nécessaires pour traiter les déclarations ou les demandes présentées par le public, pour informer les personnes sur leurs droits au bénéfice éventuel d'une prestation ou d'un avantage et pour attribuer, le cas échéant, lesdits prestations ou avantages ». Un second décret précise de son côté la liste des administrations qui devront partager leurs données pour permettre la mise en place de cette administration proactive, ainsi que la nature des informations à partager.
Un dispositif encadré par la CNIL
Dans une délibération du 6 octobre 2022, la CNIL note que les échanges de données entre administrations « participent à la simplification des formalités administratives des usagers lorsqu'ils ont pour finalité de dispenser les usagers, personnes physiques ou morales, de fournir les mêmes justificatifs plusieurs fois ». Elle prend acte que les données ainsi collectées « ne seront pas utilisées ou réutilisées à des fins de « détection ou pour la sanction d'une fraude » ».
Références :
L'administration proactive en actes : premières réalisations
Versement automatique du chèque énergie
Généralisé en 2018 pour remplacer les tarifs sociaux de l'énergie, le chèque énergie est une aide versée, sous conditions de ressources, pour le paiement des factures d’énergie, l'achat de combustible, certains travaux énergétiques. Le chèque est nominatif, c'est-à-dire que le nom du bénéficiaire est indiqué sur le chèque. Le chèque énergie est destiné aux personnes ayant des ressources modestes. L'administration fiscale établit chaque année la liste des bénéficiaires en fonction du revenu fiscal de référence (RFR) du ménage et de la composition du foyer déterminé en unité de consommation (UC). Le chèque énergie est adressé automatiquement par courrier, à la dernière adresse indiquée à l'administration fiscale.
Détection proactive des erreurs
A l’été 2019, la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF) a lancé une campagne nationale de régularisation spontanée qui permet aux Caf de cibler certain.e.s allocataire.trice.s pour les inviter à signaler, même tardivement, une situation de vie maritale ou la perception par un enfant à charge d’un salaire excédant 55% du SMIC. Et ce, sans risquer une pénalité financière (alors qu’un contrôle classique aurait dû déboucher sur une sanction pour fraude). Ce dispositif a d’abord été testé plusieurs mois à Paris avant d’être généralisé. L’administration fiscale déploie des actions similaires pour lutter contre l’évasion fiscale. Grâce à la déclaration sociale nominative (DSN) fiabilisée, les Urssaf peuvent détecter plus facilement des erreurs matérielles commises par les employeurs, pouvant impacter leurs cotisations sociales, grâce à des croisements de données plus efficaces. Et ainsi les corriger en prévenant l’employeur si besoin.
Environ 2 millions d’erreurs ont été détectées de manière proactive depuis 2019, dont 75 006 grâce à la recherche automatique d’incohérence entre données, relevées par les URSSAF, avec un outil en ligne pour faciliter le calcul et le recouvrement des cotisations sociales auprès des employeurs (déclaration sociale nominative).
Attribution automatique de la complémentaire santé solidaire pour les bénéficiaires du RSA
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a permis de faciliter les démarches d’accès à la complémentaire santé solidaire pour plusieurs bénéficiaires de minima sociaux. A ce titre, les nouveaux bénéficiaires du RSA bénéficient depuis février 2022 d’une attribution automatique de la complémentaire santé solidaire. Concrètement, les personnes qui réalisent leur demande de RSA en ligne via le téléservice dédié se voient systématiquement proposer la complémentaire santé solidaire à la fin de cette démarche. Sauf s’il s’y opposent, un droit leur est alors ouvert, ainsi qu’aux membres de leur foyer s’ils remplissent bien les conditions d’éligibilité au RSA.
Versement automatique de l’indemnité inflation
L'indemnité inflation est une aide exceptionnelle et individuelle de 100 € versée à 38 millions de personnes résidant en France, pour préserver leur pouvoir d'achat face à la forte hausse du coût des énergies. A partir de décembre 2021, l'indemnité inflation de 100 euros a été versée automatiquement aux personnes percevant moins de 2 000 euros par mois sans qu’elles aient besoin d’en faire la demande
Mise en place automatique de l’intermédiation du paiement des pensions alimentaires
Depuis le 1er mars 2022, le versement de la pension alimentaire fixée par un juge s'effectue automatiquement par la CAF ou la MSA. Ce nouveau service public des pensions alimentaires a été mis en place pour éviter les retards de paiement et les impayés, protéger les familles monoparentales en situation de précarité et simplifier le quotidien des parents séparés. À partir de janvier 2023, le dispositif est étendu à toutes les séparations extrajudiciaires dès qu'une pension
Collèges et lycées : automatisation de l’attribution des bourses aux familles
Pour la rentrée 2024, à l’issue de l’inscription au collège et au lycée, les familles n’auront aucune autre démarche à réaliser ni justificatif à transmettre pour l’obtention et la reconduction des bourses scolaires tout au long de la scolarisation (7ème Comité interministériel de la Transformation publique).
Références :
Administration proactive et accès aux droits
Conséquence de la complexité du système de prestation sociales, le non-recours est un phénomène massif avec des conséquences sociales importantes.
Plusieurs études récentes, portant sur différentes prestations sociales, montrent que le non-recours atteint fréquemment des niveaux supérieurs à 30 % en France. C’est le cas du RSA (34 % de non-recours) ou encore du minimum vieillesse (50 % de non-recours pour les personnes seules).
Une dématérialisation qui complique l'accès aux droits
De nombreuses études pointent la dématérialisation parmi les facteurs qui entravent l'accès aux droits.
Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNLE) évoque le fonctionnement parfois qualifié de « dégradé » des administrations, les démarches complexes, les possibilités d’accueil physique très rares, l’injonction au recours aux démarches en ligne en hausse.
Pour l'Observatoire de l’éthique publique (OEP), si « la dématérialisation constitue à certains égards, une garantie supplémentaire de la continuité du service public » (en permettant de réaliser des démarches en tout lieu et à toute heure), elle emporte, toutefois, en contrepartie, « une complexification technique des démarches administratives et une dépendance technologique, susceptibles de créer de nouvelles ruptures ».
Une étude réalisée en 2021 par le Secours Catholique et l'Odenore constatait que « pour accéder à ses droits et s’y maintenir, des exigences croissantes reposent désormais sur les épaules des allocataires qui sont incités à faire preuve d’autonomie numérique. Ils doivent en effet disposer d’une messagerie électronique et savoir s’en servir, conserver des identifiants et changer les mots de passe régulièrement, se connecter pour effectuer la mise à jour de leur dossier… Autant de “conditionnalités implicites” extérieures au droit, qui peuvent provoquer des difficultés et du non-recours pour ceux qui ne maîtrisent pas les savoirs numériques ».
« Hier parfaitement autonomes pour effectuer leurs démarches administratives, nombre de bénéficiaires de prestations sociales sont aujourd’hui confrontés à des services sociaux qui ne sont accessibles qu’en ligne. Le taux de non-recours risque fort d’augmenter pour ce public précaire moins équipé et moins compétent pour l’interaction numérique que le reste de la population » conclut, un rapport d’enquête commandité par la direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale (DRJSCS) des Hauts-de-France.
Un Comité de coordination pour l’accès aux droits
Un Comité de coordination pour l’accès aux droits a été installé le 30 janvier 2023 par le ministre des Solidarités. Il aura pour mission de suivre l’expérimentation Territoires zéro non-recours, puis de construire la vaste réforme de la solidarité à la source.
« Solidarité à la source » : une première étape de simplification des démarches à partir de 2024
Le projet de « solidarité à la source » permettra à une personne, quel que soit le « guichet social » auquel elle s’adresse, de savoir à quelles prestations elle a droit. Cette réforme source se fera finalement en deux étapes :
La première, à partir du second semestre 2024, consistera à simplifier massivement les démarches administratives pour bénéficier des prestations de solidarité : le RSA et la prime d’activité dans un premier temps. L’objectif est de s’inspirer de la logique de la déclaration fiscale préremplie, pour en finir autant que possible avec les chiffres à chercher et les justificatifs à rassembler. Les formulaires de demande et de renouvellement du RSA et de la prime d’activité seront pré-renseignés à partir des informations déclarées par les entreprises, et les allocataires n’auront plus qu’à les valider. Grâce à la mise en commun des données de revenus dont disposent les différentes caisses et administrations, des travaux d’exploration de données pourront être menés : les personnes potentiellement éligibles mais non recourantes pourront être identifiées, puis contactées et invitées à faire valoir leurs droits.
La seconde étape de la « solidarité à la source » consiste à repenser les paramètres des prestations de solidarités, pour en harmoniser les bases ressources.
Le Conseil d'état, dans son rapport consacré au « dernier kilomètre » des politiques publiques, recommande qu’il n’y ait plus que deux types de bases ressources :
- une première pour toutes les prestations relevant de la famille et du RSA ;
- une seconde pour les ressources fondées sur des notions fiscales.
Références :