Le Premier Ministre a chargé le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion (CNLE) « d’enrichir la connaissance qualitative de l’évolution de la pauvreté ».
Après la publication, en mai 2021, d’un rapport combinant cadrages quantitatifs et études qualitatives, le CNLE a entrepris d’élaborer un « baromètre qualitatif afin d’enrichir l’approche quantitative habituelle de mesure de la pauvreté », en vue de « produire une connaissance actualisée des catégories de la population confrontées à diverses difficultés et des affects sociaux qui traversent ces publics ».
Le Baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté et l’exclusion sociale du CNLE s’appuie sur les travaux de chercheur.euse.s et sur l’expertise d’acteurs de terrain (associations, élus et acteurs publics). Il repose, notamment, sur les réponses de 128 acteurs en en contact direct avec les catégories les plus fragiles de la société : travailleur.euyse.s sociaux de départements et des centres communaux d’action sociale, conseiller.e.s bancaires, des associations caritatives et gestionnaires de structures (centres d’hébergement, foyers, ateliers et chantiers d’insertion, banques alimentaires), personnes de structures de la petite enfance ou des Écoles des Parents et des Éducateurs, conseiller.e.s de Pôle emploi, éducateur.trice.s d’aides éducatives en milieu ouvert, assistant.e.s sociaux en entreprise…
Les réponses de ces acteurs ont fait émerger trois principaux types de résultats :
- des difficultés sanitaires et sociales qui sont apparues ou se sont aggravées pendant la crise ;
- des difficultés conjoncturelles et celles pouvant s’ancrer dans la durée ;
- des facteurs de crispation sociale et aux affects qui émergent dans la société durant ou après cette crise.
Des personnes en difficulté dans l’accès aux droits pendant la crise
Parmi les difficultés qui sont apparues ou se sont aggravées pendant la crise, le Baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté revient sur celles relatives à l’accès aux droits :
« Les ouvertures de droits ont pu être problématiques pendant le confinement, le constat global des acteurs étant que ces difficultés persistent y compris en sortie de crise. Les personnes les plus concernées sont celles ayant eu nécessité à ouvrir des droits lors de la crise sanitaire : des personnes de nationalité étrangère sans titre de séjour ou ayant besoin de son renouvellement, des indépendants et travailleurs saisonniers ne vivant plus de leurs revenus professionnels, des retraités et notamment des veufs ou des personnes âgées en perte d’autonomie lors des confinements.Les mesures de distanciation sociale ont conduit à la fermeture des guichets physiques et à une accélération de la numérisation comme mode d’accès au service public. Les personnes peu à l’aise dans l’usage des outils numériques ou dans la compréhension du fonctionnement administratif se sont trouvées dans l’impossibilité de faire valoir leurs droits. Cette impossibilité perdure du fait d’un retard parfois conséquent pris dans le traitement des dossiers de demandes et dans la poursuite de la numérisation. D’autres publics qui jusque-là étaient autonomes dans leurs relations avec les administrations, sont démunis face aux difficultés à les joindre et perdent le contact avec elles ».
Des contraintes croissantes d’accès aux droits, de nouveaux besoins identifiés et la persistance de non-recours
Parmi les les difficultés conjoncturelles pouvant s’ancrer dans le long terme, le Baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté pointe les « difficultés croissantes que rencontrent les populations pour accéder aux droits font craindre une hausse du non-recours ».« Le fonctionnement parfois qualifié de « dégradé » des administrations se poursuit et les acteurs constatent que les démarches restent complexes, les possibilités d’accueil physique très rares, l’injonction au recours aux démarches en ligne en hausse. Alors même qu’ils relèvent des besoins grandissants, dont certains trouveraient réponse en allant vers les personnes parfois très isolées et ne connaissant pas leurs droits, les acteurs notent un éloignement accru entre les administrations et les usagers.Cet éloignement est même aggravé en milieu rural du fait du coût toujours plus élevé de l’essence : même lorsque des accueils physiques seraient possibles, ce coût conduit certains à renoncer à se déplacer.Cette moindre accessibilité est à l’origine d’un non-recours dont, par définition, les acteurs ne connaissent pas l’ampleur. Ils relèvent la démotivation de certains qui renoncent à faire valoir leurs droits et dont les situations se dégradent ».
Les difficultés d’accès aux droits et de dialogue avec les administrations, facteurs de crispation sociale
« La montée de l’agressivité revient très régulièrement dans les réponses des acteurs. Beaucoup la constatent sans l’expliquer », observent les auteurs du Baromètre de suivi qualitatif de la pauvreté. « Certains la relient aux difficultés d’accès aux droits et de dialogue avec les administrations. Cette agressivité émane peut-être de situation de frustration engendrée par l’impossibilité de faire valoir des droits et aggravée par l’absence d’interlocuteurs qui seraient à même d’entendre les difficultés rencontrées et de proposer des solutions. Cette frustration s’exprime alors par des comportements agressifs envers les acteurs associatifs ou les intervenants sociaux voire, par des violences dans les lieux de vie et les quartiers.À côté de cette attente d’accès à des prestations existe une revendication envers des droits auxquels les usagers pensent être éligibles. Ce sont notamment les échanges sur les réseaux sociaux qui les confortent dans le sentiment qu’ils doivent pouvoir bénéficier de soutiens ou d’aides, que ces droits revendiqués soient réels ou non. Ce mode d’accès à l’information constitue également un signal de l’éloignement entre les administrations et les usagers et d’une certaine défiance des usagers à l’égard des représentants des institutions ».
Références :
Selon le Baromètre du numérique 2021, parmi les personnes qui ont réalisé des démarches administratives en ligne, 14% indiquent avoir rencontré des difficultés pour les réaliser seules. 9% indiquent avoir persévéré seules pour poursuivre leurs demandes, 4% ont sollicité l’aide de quelqu’un et 1% n’est pas parvenu à mener la requête à son terme via internet. Autres résultats du Baromètre sur cette thématique :
- 71% des français ont, au cours des douze derniers mois, accompli en ligne une démarche administrative (+ 5 points par rapport à 2019) ;
- 69% des français ont réalisé des démarches administratives en ligne pendant les deux premiers confinements liés à la crise sanitaire ;
- 72% des français se disent globalement compétents pour réaliser des démarches administratives en ligne (26% se disant très et 46% assez compétents) ;
- le défaut de maîtrise des démarches administratives en ligne pour les plus jeunes est patent : seulement 28% des 12-17 ans se pensent compétents alors que leur maîtrise des outils numériques est équivalente à celle de l’ensemble de la population ;
- Si elle se diffuse dans la population, la sollicitation en ligne de l’administration continue à être plus facilement réalisée par les groupes les plus diplômés et favorisés : 79% des hauts revenus, 82% des cadres, 86% des diplômés du supérieur ; contre 70% des bas revenus, 71% des ouvriers, 45% des non diplômés ;
- Parmi les personnes qui ont réalisé des démarches administratives en ligne, 14% indiquent avoir rencontré des difficultés pour les réaliser seules. 9% indiquent avoir persévéré seules pour poursuivre leurs demandes, 4% ont sollicité l’aide de quelqu’un et 1% n’est pas parvenu à mener la requête à son terme via internet ;
- Face aux difficultés rencontrées par d’une partie de la population, notamment dans la gestion des démarches administratives en ligne, le lieu idéal pour 40 % des Français allie proximité et diversité des services, c’est-à-dire un endroit réunissant plusieurs services publics et des services de proximité utile au quotidien (source : Baromètre du numérique 2019) ;